Le Journal / Lumière

À la lumière des étoiles : Lafite sous l’objectif d’Evgenia Arbugaeva

En 2020, la photographe et réalisatrice Evgenia Arbugaeva a choisi de mettre à l’honneur la voûte céleste qui surplombe le Château Lafite Rothschild. Un jeu de clair-obscur captivant.

Scrollez

La tradition remonte à 1976. Il y a bientôt cinquante ans, le Baron Eric de Rothschild décide de faire appel à Willy Ronis, éminent représentant de la photographie humaniste française. Il est le premier d’une belle liste de photographes à avoir posé son regard singulier sur le Château Lafite Rothschild.  

Presque 50 ans plus tard, et autant de “Regards sur Lafite”, Evgenia Arbugaeva foule à son tour le sol de la propriété. 

L’esprit des lieux

Nous sommes en 2020, année que l’on sait si particulière, celle des premiers confinements. Cela ne l’empêche pas de se demander elle aussi, comment capturer l’ambiance du lieu dans une image. Elle est invitée une première fois à venir découvrir le Château Lafite Rothschild pour s’imprégner de l’atmosphère. 

Saskia de Rothschild profite  de sa visite pour lui raconter l’histoire de la propriété. C’est finalement après une nuit d’insomnie, et quelques errances dans les couloirs qui la mènent sous un ciel étoilé, qu’elle prend sa décision : la nuit sera son terrain de jeu et les astres lumineux ses points de mire. 

J’ai besoin de temps pour m’imprégner et me connecter à un lieu. Lors de mon premier séjour à Château Lafite Rothschild, j’ai tout de suite senti une forme de mystère, lié à un fort héritage historique. La nuit, j’avais presque l’impression de me retrouver dans l’ambiance de certaines nouvelles d’Edgar Allan Poe.
J’ai voulu retranscrire tout ce qui traversait mon imagination en photos.


C’est à l’occasion de déambulations nocturnes dans le Domaine que la photographe a eu l’idée d’en capturer l’esprit mystérieux, à la lumière de la pleine lune.

Des cercles polaires aux vignes du Sud-Ouest

Photographier la nuit, déambuler dans l’obscurité et se contenter de rares éclaircies ne font pas peur à Evgenia Arbugaeva. Née dans la ville de Tiksi, dans l’Arctique Russe, elle est habituée à ces ambiances sombres et mystérieuses. Dans son travail de photographe indépendante, elle aime revenir à ce jeu de contraste entre ombres et lumières.

Elle nous confie que cela devient presque une leçon de vie : travailler au cœur de la nuit est une façon d’apprendre à ne mettre en lumière que l’essentiel, à ne se concentrer que sur ce qui en vaut la peine.  

Une formation de terrain, comme un héritage des nuits arctiques qu’elle connaît si bien, qui lui a permis de développer un véritable instinct nocturne : savoir prédire quand la lumière de la lune sera au plus fort et anticiper les déplacements des étoiles demandent un œil aguerri. Car oui, dans une danse imperceptible, les étoiles bougent bien de 15 degrés par heure. Pour arriver à capturer ces nuits étoilées, Evgenia fait preuve de patience. Il lui faudra au total trois nuits – et donc trois séances – pour immortaliser les vignes de Château Lafite Rothschild sous une pleine lune parfaite.

Quelques-uns des moments suspendus capturés par l’objectif d’Evgenia Arbugaeva, dans les vignes de Château Lafite Rothschild, à l’automne 2020.
Quelques-uns des moments suspendus capturés par l’objectif d’Evgenia Arbugaeva, dans les vignes de Château Lafite Rothschild, à l’automne 2020.
Quelques-uns des moments suspendus capturés par l’objectif d’Evgenia Arbugaeva, dans les vignes de Château Lafite Rothschild, à l’automne 2020.

L’alignement des planètes

Evgenia Arbugaeva se souvient très bien de son travail au milieu des parcelles. En même temps qu’elle cherche l’endroit exact où poser son appareil et son regard, elle écoute Saskia de Rothschild lui parler de la biodynamie.

Evgenia, en plein reportage, dans le marais de Château Lafite Rothschild, dans la lumière du lever du soleil. Crédits : Saskia de Rothschild

“A ce moment-là, on assiste à une forme d’alignement des planètes. Il est question des forces naturelles et des cycles lunaires dans la biodynamie, tandis que nous-mêmes déambulons sous cette même pleine lune. Saskia et moi sommes en pleine exploration – à la fois théorique et pratique – de la magie qui permet aux raisins de devenir vin.”

La discussion inspire la photographe, à tel point qu’elle demandera à Saskia de Rothschild de poser dans cette nuit étoilée. Revêtue de la cape de son grand-père, l’héritière devient un symbole de la continuité : génération après génération, le Domaine perdure et les étoiles reviennent toujours. Le savoir qui se transmet entre les vignerons se matérialise ici dans une série de photos tout aussi envoûtante.

A propos d’Evgenia Arbugaeva

Née à Tiksi, dans la région de la Sibérie en Russie, Evgenia Arbugaeva suit des études de photographie. Elle est diplômée du programme de photographie documentaire et de photojournalisme du Centre International de Photographie de New York. Elle a remporté plusieurs concours, comme le prix ICP Infinity, le prix Leica Oskar Barnack et celui de la subvention Magnum Foundation Emergency Fund. Son travail a trouvé un écho international et est apparu dans des publications telles que National Geographic, Le Monde, Time ou encore The New Yorker. En 2023, son documentaire HAULOUT a été nominé pour aux Academy Awards (Oscars US).

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