Le Journal / Lumière

En éclaireur : l’art de montrer la voie

Pour apprendre, la théorie ne suffit pas. Celles et ceux qui évoluent dans nos Domaines l’ont bien compris, la bonne rencontre peut parfois tout changer. Trois histoires de transmissions entre vignerons.

Scrollez

Il y a la formation que l’on suit dans les livres et celle que l’on pratique sur le terrain, au fil de nos expériences. Parfois, notre route croise celle de personnes qui nous font confiance et prennent plaisir à nous conseiller. Ceux que l’on désigne désormais comme des “mentors” peuvent avoir un grand impact sur les trajectoires professionnelles.

En vérité, le terme de “mentor” fait écho à une histoire beaucoup plus ancienne. Direction la Grèce Antique où l’on raconte qu’Ulysse, au moment de partir pour la guerre de Troie, confie l’éducation de son fils à son ami “Mentor”. Par assimilation, le mentor est devenu cette figure de guide, dont on bénéficie de l’expérience et de la sagesse.

Retour dans nos domaines, en 2024. Nos mentors des temps modernes ne sont plus vêtus de toges, mais ils remontent leurs manches pour travailler la terre, leur carrière – et celle des autres. Nous sommes partis à la rencontre de Juliette Couderc, de Matthieu Pilloton et de Francis Perez qui ont – chacun à leur manière – vécu l’expérience de mentoring.

Directrice d’exploitation de Château L’Evangile.

Juliette Couderc, un chemin non-tracé

Rien ne prédestinait Juliette Couderc à vagabonder entre la Chine et la région bordelaise – et encore moins à devenir Directrice d’exploitation du Château L’Evangile. Certes, ses études en agronomie et oenologie l’ont formée au métier, mais elle se voyait plutôt s’installer en Languedoc. 

C’est un stage dans un laboratoire de conseils en fertilisation qui lui a permis de croiser la route de celui qui deviendra, quelques années plus tard, son responsable et son mentor. A ce moment-là, tout ce qu’elle sait d’Olivier Tregoat c’est que son propre tuteur ne tarit pas d’éloges à son égard. Et elle avoue que “ses articles de recherches se sont révélés très précieux pour mon mémoire d’études”. Elle le revoit tout à fait par hasard alors qu’elle est temporairement ouvrière agricole dans une exploitation proche du Domaine d’Aussières.

Quelques semaines plus tard, elle reçoit un appel qui va déboucher sur une nouvelle aventure. C’est Olivier, désormais Directeur Technique des Domaines Barons de Rothschild Lafite. Il lui propose de devenir cheffe de culture au domaine de Long Dai, en Chine. Elle commence par refuser, le plan est trop loin de ce qu’elle souhaite faire. Mais Olivier insiste. Il lui parle de tout ce qu’il reste à construire pour un domaine encore jeune et finit par la convaincre.

Juliette Couderc, au milieu, avec Olivier Tréogat (à gauche) et Lao Huang (à droite) dans les vignes de Long Dai.

« Il m’a appris à synthétiser tout ce que j’observais au quotidien et à prioriser toutes les informations que je devais lui remonter. »

Elle décolle le jour de ses 25 ans, à la découverte de la vallée de Qiu Shan. Olivier l’accompagne pour cette première fois. Il revient ensuite chaque trimestre pour l’accompagner dans ses nouvelles missions. Entre chaque passage, il continue de la former en visio. Juliette se souvient : “Il m’a appris à synthétiser tout ce que j’observais au quotidien et à prioriser toutes les informations que je devais lui remonter. ”. En travaillant avec une autre culture, elle pratique la patience, l’humilité mais aussi… l’anticipation de potentiels malentendus ! Elle se sent en confiance aux côtés d’Olivier : “il n’oubliait jamais de me demander comment j’allais, ses préoccupations dépassaient le simple cadre de mes missions.” 

Elle y reste de 2017 à 2020 : 3 ans d’expérience qui en paraissent beaucoup plus, tant elle apprend. Après la Chine, elle pense à quitter le groupe pour revenir dans le Languedoc. C’est sans compter sur Olivier qui lui propose un nouveau poste. Il commence à la connaître et ne lui parle pas tout de suite de Château L’Evangile. Il sait que la région bordelaise et que le rôle de représentation auprès des médias ne sont pas les meilleurs arguments pour la convaincre. Malgré ses appréhensions, elle lui fait confiance et débarque dans les vignes du Château L’Evangile en pleines vendanges, en septembre 2020. Même si les terres au sud-est de Pomerol sont moins étrangères que le Shandong, Juliette continue de progresser aux côtés de son mentor : il lui parle des spécificités des sols, des cépages, des plantations, des méthodes de vinifications mais aussi des impacts climatiques.

Juliette avec son chien Zaza, qu’elle a ramené de Long Dai et qui vit depuis avec elle en France.
Juliette avec Olivier Tréogat à Château L’Evangile.

La meilleure récompense pour Olivier ? Quand on l’interroge, il répond spontanément : “Toutes les personnes que j’ai recruté, dont Juliette, ont tous un bel esprit d’équipe. Et ça se ressent vraiment au quotidien.”

Et l’histoire ne s’arrête pas là. Car à son tour, Juliette a l’occasion de partager ses connaissances avec Jeanne, arrivée comme assistante technique dans son équipe en 2023. 

Francis Perez, 40 vendanges et 14 relèves

Ancien maître de Chai de Château Lafite Rothschild

Difficile de ne pas le connaître quand on a travaillé pour le Château Lafite Rothschild : même s’il vient de poser ses outils pour une retraite bien méritée, Francis Perez n’allait pas louper son 40ème millésime. De retour pour d’ultimes vendanges, on a eu la chance de croiser l’ex-maître de chai : il nous raconte son rôle de passeur – qui a marqué l’histoire mais surtout les équipes du domaine.

Car ce ne sont pas moins de 14 personnes qui ont eu la chance d’être recrutées et formées au chai par Francis. Après un premier poste au Château Duhart-Milon, Francis arrive à Lafite en 1994. A cette époque, il est sur tous les fronts à la fois. Au fil des années, la production augmentant, il doit renforcer ses équipes.

Les personnes qu’il recrute ne sont pas toutes du sérail : de tête, Francis cite un ancien électricien, un ex-boulanger ou encore un ambulancier de formation. Il les choisit aussi pour leur force de caractère et leur capacité à rapidement devenir autonome.

« C’est normal de transmettre son savoir : il y a les gestes techniques, la prise en main des machines, le bon enchaînement des étapes, etc. Ce n’est pas inné, ça s’apprend ! »

Francis estime qu’il faut tout de même un cycle d’un an pour bien former un nouvel arrivé au chai : “C’est normal de transmettre son savoir : il y a les gestes techniques, la prise en main des machines, le bon enchaînement des étapes, etc. Ce n’est pas inné, ça s’apprend !

Une fois la formation achevée, Francis fait confiance à ses équipes. Il sait qu’il doit  toujours garder un œil vigilant pour s’assurer que personne ne se retrouve coincé. Avec les années, il développe même un réel instinct : “Je le sens, quand quelqu’un au chai ne va pas bien, que ce soit à cause d’un problème professionnel ou personnel. Ici, on doit pouvoir compter les uns sur les autres.”. 

Francis Perez (au centre) entouré de son équipe, dans les chais de Château Lafite Rothschild.

Et la formation elle-même est une affaire d’équipe. Francis sait qu’il peut demander aux plus anciens de faire monter en compétence les jeunes recrues. Il sait repérer les points forts de certains et déléguer : s’il repère une personne davantage à l’aise sur la décantation, la filtration ou la dégustation, il lui demandera, à son tour, de transmettre son savoir. 

Si Francis est incontestablement un mentor pour beaucoup, il ne tient pas à garder l’exclusivité. Pour lui, la démarche est naturelle – tellement qu’il n’a pas hésité une seule seconde à assister, à son tour, son escouade. La boucle est bouclée.

Chef de culture à Château Duhart-Milon et Château Lafite Rothschild.

Matthieu Pilloton, allers-retours pour un défi de taille

Tout a commencé par une main levée. En 2013, les premières vignes du jeune Domaine de Long Dai commencent juste à pousser. La direction technique se rend compte que tout ne se passe pas comme prévu et se demande qui pourrait accompagner les équipes chinoises pour optimiser la taille. 

Matthieu Pilloton répond présent – sans penser un seul instant qu’il allait vraiment traverser le globe plusieurs années de suite. “Je n’imaginais pas qu’Eric (Ndlr : Eric Kolher, directeur technique à l’époque) allait me rappeler pour me demander de partir sur place pour faire un premier audit, accompagner et former sur la taille.


Au total, Matthieu se rendra 4 années consécutives au Domaine de Long Dai, entre 2013 et 2016. Mais au moment de son premier séjour sur place, il ne le sait pas encore. Sa mission initiale est de faire un état des lieux et de rattraper la taille des jeunes vignes.

La plupart des vignerons du village de Mulangou qui ont été embauchés ont surtout l’habitude de tailler les pommiers des vergers alentours. Ils sont donc encore en phase d’apprentissage. Matthieu arrive avec un cahier résumant toutes les bonnes pratiques, avec des photos, des schémas et des explications traduites en mandarin. L’objectif ? Montrer à quoi doit ressembler un pied de vigne idéal et expliquer comment y arriver. Les deux premiers jours, il accompagne le chef d’équipe, pour ensuite se retrouver face à une dizaine de vignerons.

Matthieu, au fond à droite, avec l’équipe des vignerons de Long Dai.

« Le plus dur n’a pas été de former les équipes. Ça a été de me faire accepter et de nous habituer aux modes de fonctionnement des uns et des aux autres. »

Le plus dur n’a pas été de former les équipes. Ça a été de me faire accepter et de nous habituer aux modes de fonctionnement des uns et des aux autres.” Au-delà de la barrière de la langue, Matthieu se familiarise avec la culture. 

Le reste des trois semaines, il les passe avec les équipes dans les 11 hectares de vignes – qui sont désormais passés à 38 ! Pas de temps à perdre : ensemble, ils reprennent la taille des pieds et s’attellent au palissage pour orienter la direction des vignes. 

Matthieu revient au printemps 2014 et constate que la façon dont les équipes ont fait la taille a permis de sauver une grande partie des plantes. Il continue à accompagner les vignerons dans leur formation, en leur apprenant l’évolution des gestes de taille, en fonction de l’âge de la vigne. Matthieu le sait : “Quand on plante un plant de vigne, c’est pour 30 ans. Elle commence à atteindre un vrai équilibre, nécessaire à un vin de qualité, au bout de dix ans seulement.” 

Matthieu, concentré, et sécateur en pleine action à Long Dai.

Il retourne en 2015 et enfin en 2016 pour suivre l’évolution des travaux de taille. Les fréquentes moussons d’été et les hivers très secs nécessitent d’anticiper les pousses de bois et le volume des bourgeons à laisser sur les pieds. 

Même si Matthieu est initialement sollicité pour partager sa connaissance de la taille, il le sait : lui aussi repart gagnant. “On ne peut pas imaginer l’ouverture d’esprit, j’ai énormément appris aux côtés du chef de culture et des équipes du Domaine de Long Dai, qui m’ont fait confiance. La dernière année, un habitant du village du domaine m’a même invité à déjeuner chez lui !”

 

De ces trois parcours, on retient une chose : on n’a jamais fini d’apprendre – des autres et avec les autres.

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