Frédéric Domingo, du Château Lafite Rothschild, nous fait voyager à travers l'histoire de la mise en bouteille.
Aujourd’hui, les bouteilles de vin sont devenues de véritables miroirs, qui en disent long sur leur contenu - région de provenance, cépage, etc. – mais cela n’a pas toujours été le cas.
Jusqu’au début du xxe siècle, le lieu et la méthode de l’embouteillage, ainsi que la forme, la dimension et la couleur du flacon, ne répondaient à aucune règle. Si les conventions commerciales et l’usage ont finalement donné aux bouteilles la forme que nous leur connaissons aujourd’hui, les enjeux écologiques actuels incitent les producteurs de vin à repenser – et parfois, à redessiner – leurs bouteilles.
Remontons le temps pour revenir aux débuts du processus d’embouteillage, qui ont façonné notre rapport au vin, jusque dans son lexique et ses unités de mesure. Avant les années 1920, la mise en bouteille incombait plus souvent au négociant qu’au producteur. « Le vin était commercialisé et vendu en tonneaux aux négociants », explique Frédéric Domingo, responsable des dégustations et des visites au Château Lafite Rothschild. « Un tonneau était l’équivalent de 200 gallons, soit 900 litres environ ».
L’unité de masse ‘tonne‘ tire d’ailleurs son origine du mot tonneau. Le vin était vendu en tonneau mais livré dans des barriques. « La barrique – dans lequel le vin était transporté – équivalait à un quart de tonneau, soit à peu près 50 gallons ».
Les négociants qui achetaient directement aux châteaux se chargeaient de la mise en bouteille. « De façon purement pratique, on considérait qu’un tonneau représentait 300 bouteilles, rapporte Frédéric. C’est cette unité qui a donné la taille standard des bouteilles de 75 centilitres ». On doit cette méthode de calcul aux acheteurs anglo-saxons, alors prédominants sur le marché du vin, qui détermineront également plus tard la dimension des contenants : tonneaux, bouteilles et jusqu’aux caisses en bois. « Les producteurs de vin ont conçu des caisses de 6 ou 12 bouteilles car 6 bouteilles correspondaient à un gallon impérial (soit 4,5 litres). Ce format avait l’avantage de simplifier le calcul des ventes de bouteilles en Grande-Bretagne ».
Ces marchands avaient donc toute liberté dans le choix de leurs bouteilles, dont la forme et la couleur pouvaient être extrêmement variées. Celles-ci ne furent standardisées que bien plus tard, lorsque les châteaux commencèrent eux-mêmes à mettre leur vin en bouteille. « Deux bouteilles de 1858 provenant de deux vignobles différents pouvaient chacune avoir leur propre aspect, quand bien même la mise en bouteille se soit faite au même endroit » précise Frédéric. « Quant aux noms des bouteilles, comme la Bordelaise ou la Bourguignonne, ils sont une conséquence de cette uniformisation. À force de produire un même format de bouteille au sein d’une même région, on a décidé de leur donner des noms génériques, comme la Bordelaise par exemple ».
La cave du Château Lafite renferme de magnifiques témoignages de toutes ces évolutions. « Les bouteilles que nous avons ici au Château remontent pour certaines à 1797. À cette époque, le Château a vu l’arrivée d’un nouveau régisseur – M. De Goudal. Ce dernier avait été choisi par le propriétaire néerlandais Jean de Witt, qui fut le premier à vouloir créer une réserve historique des vins de Lafite. Il avait alors demandé aux négociants de lui envoyer des bouteilles de chaque tonneau, pour les archives du Château. C’est ce qui explique pourquoi le registre de cette collection ne commence qu’en 1797. Mais, étrangement, c’est seulement entre les années 1920 et 1930 (aux alentours de 1924) que les premiers châteaux ont eu l’idée de mettre le vin en bouteille à la propriété. De cette façon, ils pouvaient contrôler la production ».
Vous allez me dire : est-ce qu’on ne pousse pas le bouchon un peu trop loin ? Car oui, on a vu des bouteilles de vin plus anciennes que ça, avec la mention mise en bouteille au château sur l’étiquette. C’est là une erreur fréquente : s’il s’agit bien de bouteilles plus anciennes, les étiquettes, elles, ont été collées bien plus tard. « En 1868, il pouvait exister 30, 40, voire 50 étiquettes différentes pour une même bouteille car chaque négociant mettait sa commande en bouteille » commente Frédéric.« Les négociants faisaient figurer leur nom dessus. Nous avons également retrouvé une bouteille de 1858, avec l’inscription‘Lafitte’ avec deux ‘t’ sur l’étiquette. L’erreur est facile : il y avait la Maison Lafitte, qui était une banque, et même un autre Château Lafitte de l’autre côté de la Garonne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le mot Rothschild était placé en dessous et la date de mise en bouteille ne correspondait pas toujours au millésime – la mise en bouteille de 1939, par exemple, a en réalité eu lieu en 1942. Si on s’y connaît un peu, une simple étiquette peut donc en dire long sur le contexte historique ».
Et si vous vous êtes déjà demandé pourquoi les bouteilles de vin sont vertes, voici la réponse. Le verre de couleur verte assure une meilleure protection contre les rayons UV. Cette teinte est due à la présence de cuivre et de plomb – mais n’ayez crainte, ces métaux incrustés dans le verre ne contaminent en aucun cas le vin. À savoir que plus la bouteille est claire, plus la teneur en cuivre est faible.
Ce ne sont donc pas seulement les étiquettes qui servent d’indicateurs historiques mais aussi les bouteilles. Comme beaucoup d’autres denrées, le plomb était devenu rare pendant la guerre – la majeure partie des stocks était destinée à la fabrication des munitions, tandis que le cuivre était presque exclusivement réservé à l’agriculture. « On peut voir à la couleur des bouteilles de Lafite de 1939, 1942 et 1945 que le verre était pauvre en cuivre et en plomb à cette période, explique Frédéric. Après 1945, il est devenu plus facile de se procurer à nouveau ces métaux et la teinte verte habituelle a fait son grand retour ».
Aujourd’hui, grâce aux progrès accomplis dans le domaine de la verrerie, les besoins en plomb et en cuivre ont considérablement diminué. Si moins de cuivre signifie une protection plus faible contre la lumière, le verre est lui plus résistant. Et, comme vous le savez peut-être, le verre transparent est celui qui nécessite le plus de traitement chimique, ce qui nous amène à la question du recyclage.
« Un verre transparent a beau être sans cuivre, il contient malgré tout d’autres métaux » indique Frédéric. « Pour obtenir cette teinte aigue-marine, vous devez ajouter du dioxyde de silicium qui, à son tour, introduit des agents chimiques, ce qui rend le verre plus difficile à recycler ».
Alors que les domaines Barons de Rothschild Lafite font leur mue écologique, la question du recyclage les a encouragés à réfléchir à une mise en bouteille plus en phase avec son temps. « Quand nous avons décidé de redessiner la bouteille de Rieussec, ainsi que celle du vin R de Rieussec, nous voulions qu’elle soit la plus respectueuse possible de l’environnement. Nous avons donc abandonné le verre transparent traditionnel du Sauternes, au profit d’un verre recyclé post-consommation (PCR). Il est recyclé à 95 %, et possède une petite touche parfaitement imparfaite ».
Depuis 2022, la bouteille du Château Rieussec arbore donc fièrement le label d’un embouteillage écoresponsable. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Le bouchon et la cordelette qui le rattache à la bouteille sont quant à eux produits localement. Ils se destinent davantage à être réutilisés, plutôt que recyclés. Même les caisses dans lesquelles les bouteilles quittent le Château aujourd’hui sont en carton recyclé, aux antipodes des caisses en bois du XVIIe siècle avec lesquelles cette belle histoire a commencé.
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